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[ABONNÉ] LA FACE CACHÉE D’UN FINANCIER QUI S'IMMISCE DANS LE BLACK BLOCK

  • Photo du rédacteur: Le Hub
    Le Hub
  • 31 janv. 2020
  • 4 min de lecture

Employé d'une multinationale du CAC40 et militant anticapitaliste tout de noir vêtu pendant les manifestations, Julien mène, de son propre aveu, un « combat paradoxal ». Autour d'une tasse de thé, il a expliqué au Hub les raisons de son engagement.

Julien, dans son appartement parisien. /V.C


A la fin de notre entrevue, il semblait presque essoufflé. Comme si parler de lui l’avait libéré d’un poids. « J’ai l’impression de sortir d’un rendez-vous chez le psychologue », sourit Julien*, un peu gêné. De nature très réservée, le jeune homme de 26 ans n’a pas l’habitude de se livrer. Encore moins sur les cortèges de tête des manifestations parisiennes qu’il rejoint régulièrement, tout de noir vêtu. Il faut dire que l’environnement dans lequel il évolue n’est pas vraiment familier des luttes sociales : Julien travaille dans la finance pour une multinationale du CAC 40.


Devant son ordinateur et les tableaux Excel qu’il scrute à longueur de journée, il tend parfois l’oreille lorsque ses collègues blaguent sur les manifestants avec mépris. « Quand ils en parlent, c’est du genre : ‘Vous avez vu ces beaufs et ces chômeurs dans la rue ? Ils n’ont que ça à foutre’, peste Julien, en osant presque hausser le ton. Pourtant, la majorité des gilets jaunes et des personnes opposées à la réforme des retraites travaillent. Ils se battent juste pour mieux vivre ».


« Il y a une partie de moi qui souhaite contribuer à ce combat ! »


Julien commence à s’intéresser aux mouvements sociaux à 17 ans. La première fois qu’il est descendu dans la rue, c’était en 2011 « contre les suppressions de postes dans l’Éducation, après avoir bloqué [s]on lycée à Lille », se souvient-il. Au début, il ne fait simplement qu’y passer « pour voir comment s’organisent et sont structurées les manifestations ». En observateur, donc. Et peu à peu, il y prend goût.


Alors en école de commerce classée dans le top 6 français, il se rend aux rassemblements quand son emploi du temps le lui permet. Sans en parler autour de lui, évidemment. Les quelques fois où il évoque sa présence dans ce type d’événements, il s’attire les foudres des autres étudiants qu’il fréquente. « Ils n’y croient pas, me disent que ce n’est pas possible et se demandent ce que je vais faire là-bas, assure Julien, vexé. ‘Ce n'est pas toi’ me disent-ils, alors que si, c’est bien une partie de moi qui souhaite contribuer à ce combat ! »


Un « combat paradoxal »


Le déclic survient il y a un peu plus d’un an, lors des premières mobilisations des « gilets jaunes ». Alors qu’il se rend le premier décembre sur les Champs-Élysées à Paris pour l’acte III, un ami d’enfance cheminot lui présente « quelques potes, entièrement habillés en noir, équipés de masques à gaz et qui n’hésitent pas à aller au front pour en découdre avec la police ». Il sent l’adrénaline, l’effet de groupe du soulèvement. « Un peu comme la ferveur des supporteurs dans les stade de foot », remarque Julien, sirotant son thé dans une tasse imprimée du logo de son club favori, le LOSC. En même temps, les revendications qu’il porte et les causes qu’il soutient secrètement bouillonnent en lui. L’excitation monte.


« Ce jour-là, j’ai senti qu’à tout moment, la République pouvait tomber, poursuit-il enthousiasmé. La violence est parfois légitime pour se faire entendre d’une classe politique déconnectée de la réalité. Manifester calmement et attendre que ça passe ne fait pas bouger les choses. Pour moi, ce n’est pas un problème de s’attaquer aux banques et aux multinationales ».


Julien a du mal avec les grandes sociétés qui, selon lui, « bouffent les petits commerces, asservissent les pays les plus pauvres et poussent à l’hyper-consommation ». Vertement opposé au « capitalisme exacerbé dans lequel [il] vit », il est néanmoins conscient de l’incohérence que sa situation ambiguë peut susciter. Il se gratte la tête, puis touche son menton. « Mon parcours est paradoxal, admet celui qui travaille en tant que contrôleur de gestion dans une multinationale tricolore. Parce que je combats un système auquel je participe pleinement. Et au fond de moi, d’un point de vue éthique, ça m’embête forcément ».


Pour ma famille, je suis le bon élève, celui qui a réussi, qui a trouvé un boulot grâce à l’école de commerce payé à leurs frais. Ils ne comprendraient pas mon engagement.

L’une des raisons de son attrait pour les mouvements les plus radicaux : son tempérament. Depuis toujours, Julien est timide. Il n’ose pas. « Ma personnalité préfère un compromis plutôt que de s’imposer, confie-t-il calmement. Quand je suis en manifestation et anonyme dans le block, je sens que je peux, en quelque sorte, m’exprimer ». Ensuite : son ennui profond au travail. Difficile pour lui de trouver un sens à son métier. « L’envie de me défouler provient aussi de là », affirme-t-il.


Il flirte, en somme, avec l’indécision. S’il écoutait son cœur, ses convictions, il lâcherait tout. C’est peut-être un manque de courage. « Pour ma famille, je suis le bon élève, celui qui a réussi, qui a trouvé un boulot grâce à l’école de commerce payé à leurs frais. Ils ne comprendraient pas mon engagement ». Il a préféré tout bonnement suivre les traces de son père, lui aussi contrôleur de gestion dans une compagnie d’assurance. Impossible pour Julien de s’émanciper de la pression sociale et familiale. La peur du déclassement, et surtout du jugement. Étrange paradoxe pour quelqu'un qui déplore expressément « une société du jugement ».

V.C.

*Le prénom a été changé

 
 
 

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