[ABONNÉ] LE "BAC 2020" À L’ÉPREUVE DE LA CONTESTATION ENSEIGNANTE
- Le Hub
- 22 janv. 2020
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Dernière mise à jour : 23 janv. 2020
Déjà mobilisée contre la réforme des retraites, une partie du corps enseignant s’oppose également à la mise en place de la réforme du bac qui a commencé lundi 20 janvier, avec les nouvelles épreuves de contrôle continu. Dénonçant un “bacatastrophe”, les syndicats de l’enseignement secondaire craignent que l’examen continu ne devienne un “bac local” inégalitaire.

Des lycéens manifestent contre les "E3C", à Monfort-sur-Meu, le 20 janvier 2020. Damien Meyer / AFP
Des barrières, une poubelle et quelques lycéens devant l'établissement Fénelon (Paris, 6e), des épreuves retardées en banlieue parisienne, un groupe d’enseignants grévistes à l’entrée du prestigieux lycée Louis-le-Grand et des dizaines d’établissements bloqués un peu partout en France : le déroulé des nouvelles épreuves du bac est mis à mal. Alors que 526 000 élèves de 1re s’apprêtent cette semaine à passer les “épreuves communes de contrôle continu” ou “E3C”, l’opposition des enseignants à la réforme du baccalauréat, qui s’était déjà exprimée en juin dernier avec des rétentions de notes, s’organise.
Contre un “bac local”
Symbole du bac version 2020 issu de la réforme menée par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer, la première session des épreuves de contrôle continu (en histoire-géographie et langues pour les élèves de 1re de série générale, et en mathématiques pour ceux de série technologique - voir infographie ci-dessous) représentent 30 % de la note finale du baccalauréat. L’enjeu est donc important, mais pour les enseignants et syndicats, cette session s’annonce chaotique ; depuis deux mois, le SNES-FSU (Syndicat national des enseignements de second degré) demande tout bonnement son annulation. Dans un communiqué, le syndicat explique : “tous les témoignages des collègues montrent que l’impréparation et le renvoi au local de l’organisation génèrent du stress et une surcharge de travail conséquente pour des personnels déjà épuisés par la mise en place à marche forcée de la réforme du lycée. Alors que tous les faits montrent que rien n’est prêt, le ministre s’enferme dans un déni de réalité.”
Au lycée général et technologique René-Cassin à Gonesse (Val-d’Oise), la première session des “E3C” aura lieu fin janvier - les dates d’examens continus sont déterminées par les recteurs et varient selon les académies -, mais les professeurs semblent aussi inquiets pour leurs élèves qu’en colère contre leur ministre. Soliman M., professeur de philosophie, juge la réforme du bac inégalitaire :
“Le nouveau bac, c’est 40 % de contrôle continu avec des épreuves choisies et corrigées par les profs de chaque établissement parmi une banque de sujets déterminés par le ministère, alors qu’avant, toutes les épreuves étaient nationales. Cela signifie que bac n’a plus la même valeur selon qu’on le passe en centre-ville, en banlieue ou à la campagne…”
Cette différence d’agenda des épreuves d’un lycée à l’autre entraîne des fuites sur les réseaux sociaux qui risquent d’avantager les élèves des établissements où les épreuves commenceront tôt.
Une impression de “grand bazar”
Un constat général qui résonne avec les craintes suscitées par le contrôle continu : “cette session est mal organisée. D’abord, la banque d’épreuve n’a été ouverte que mi-décembre. Beaucoup de collègues ont dû aborder certaines parties du programme à la va-vite afin que les élèves aient les connaissances pour traiter les sujets. On remarque aussi que beaucoup de sujets contiennent des erreurs, en langues notamment”, regrette le professeur.
Même son de cloche au lycée Angela Davis (Saint-Denis). Directement concerné par l’organisation des “E3C”, Mohamed B., professeur de mathématiques, explique avoir le sentiment d’assister à un “énorme bazar”. Avec les collègues de sa discipline, il a adressé un courrier au rectorat pour demander le report de ces épreuves dont les sujets n’ont pas nécessairement encore été abordés en cours. “L'inspecteur a refusé notre demande, déplore-t-il. Sa réponse c’était : non, pensez aux élèves, il faut maintenir les épreuves.” En salle des profs, l’ambiance est mauvaise, “on se sent méprisé à tous les niveaux : sur la réformes du bac, celle des retraites, sur les salaires”, confie le professeur de mathématiques.
Autre point d’interrogation : l’utilité de la dématérialisation de la correction des épreuves communes : “le scanner ne peut traiter toutes couleurs (cela pose problème quand il s’agit d’une carte en géographie par exemple), souligne Soliman M. Sans tomber dans le complot, on pourrait aussi s’interroger sur l’utilisation des données par le logiciel Santorin chargé de la correction des copies. Il pourrait y avoir du machine-learning à partir des sujets choisis par les établissements et des notes attribuées ; l’objectif est-il de collecter assez de données pour faire des corrections sans profs ?”
Le ministère répond pour l’heure aux problèmes techniques : là où la numérisation posera problème, les professeurs pourront s’armer de leurs vieux stylos rouges. Concernant les risques d’inégalité de traitement, le logiciel aura pour mission d’harmoniser les notations. Une réponse a posteriori qui est loin de convaincre les enseignants.
Un blocus, plusieurs options
Alors la mobilisation s’organise. Lundi, premier jour d’examen, plusieurs dizaines de lycées ont été perturbés, d’autres ont reporté partiellement ou totalement les épreuves. La SNES-FSU s’en félicite, relayant les blocages des lycées menées aux quatre coins de la France.
Mais la dilution dans le temps de l’agenda des épreuves rend difficile un blocage total et coordonné. Parmi les autres actions possibles, souligne le secrétaire général du syndicat des personnels de direction Philippe Vincent interrogé par Le Monde, “une grève du choix des sujets, une grève de la surveillance, une grève de la correction.”
Au lycée René-Cassin, les professeurs d’anglais et d’espagnol ont employé une autre technique : ils ont refusé de choisir des sujets parmi la sélection imposée par le ministère pour la première session d’”E3C”, et prévoient de faire une grève de la surveillance voire de la correction des copies : “on est en train de discuter des modalités de contestation”.
Rue de Grenelle, on assure que tout va rentrer dans l’ordre, avec le douloureux souvenir de la grève des commissions d’harmonisation des notes du bac, en juin dernier. Au micro de France Inter le 19 janvier dernier, Jean-Michel Blanquer donnait l’impression de souffler sur les braises de la contestation :
“La réforme du baccalauréat suscite l’adhésion. À chaque étape, il y a des secteurs radicaux qui contestent l’étape suivante. (...) J’ai le calme des vieilles troupes et je ne cède pas aux intimidations.”
Même tonalité mardi 21 janvier à l’Assemblée nationale : “des groupes radicaux qui perturbent le baccalauréat jouent le jeu du désordre", mais “cela reste limité, nous traitons au cas par cas dans l’intérêt des lycéens”, assure le ministre de l'Éducation nationale.
Message partiellement reçu : pour les professeurs du lycée René-Cassin, Michel Blanquer “essaye de faire croire que les profs instrumentalisent les élèves pour leur cause.” Pas sûr que la contestation retombe d'ici la fin de la première session des épreuves continues de ce nouveau bac.
P.P. & L.S.
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