[ABONNÉ] « GARDE TON VIRUS, SALE CHINOISE » : LE RACISME DERRIÈRE LE CORONAVIRUS
- Le Hub
- 29 janv. 2020
- 4 min de lecture
En France, les propos stigmatisants à l’égard des personnes asiatiques fleurissent sur la Toile comme dans la vie quotidienne, alors qu’un quatrième cas de personne infectée par le coronavirus a été confirmé mardi.

Un jeune homme quitte le Terminus de l'aéroport Charles De Gaulle. Alain Jocard / AFP
« Chez toi ça mange des chauve-souris. C’est à cause de votre alimentation qu’il y a des maladies ». C’est ainsi qu’a été accueillie une étudiante chinoise par ses camarades en début de semaine. Minh, d'origine vietnamienne, s'est faite insulter dans la rue. « Garde ton virus sale Chinoise ! T’es pas la bienvenue en France ».
Depuis l’annonce de l’identification en France de plusieurs cas de personnes ayant contracté le coronavirus 2019-nCoV, dont le foyer se situe en Chine, les propos racistes à l’encontre des personnes d'origine asiatique se multiplient. Victimes de la psychose collective suscitée par le virus, elles témoignent.
Des petites blagues à la stigmatisation
Sous couvert d’humour, au travail, les discussions autour de l’actualité du coronavirus s’accompagnent parfois de propos discriminants. Employée dans une boutique de sacs à Paris, Mia, d’origine cambodgienne, témoigne : « J’ai à peine le temps de poser mon manteau que mon manager me dit en rigolant : "j’espère que ta famille n’a pas ramené le virus". Devant mon sourire crispé, il lâche un : "c’est bon, on ne peut plus rien dire". Tous les jours. C’est pesant. »
Une lassitude que ressent également Vincent, agent à la SNCF d’origine sud-coréenne. Toujours prêt à plaisanter, « même sur ses origines », il assure ne pas avoir pu garder son calme lorsqu’un collègue qu’il ne connaissait pas l’a interpellé sur le quai Gare de Lyon, d’un « alors, t’as pas mis ton masque ? ». Des masques d’hygiène, les pharmacies en sont d’ailleurs dépouillées. « Je suis en rupture de stock, constate Corine, pharmacienne dans le 4e arrondissement de Paris, j’attends une livraison fin février ».
Dans les transports en commun, des regards en coin scrutent l’assemblée. « Le métro était bondé mais personne ne s’est assis à côté de mes parents, poursuit-elle. En face d’eux, un monsieur a caché son nez et sa bouche dans son pull ». Se faire dévisager parce qu’on est asiatique arrive plus souvent.
A l’hôpital, l’amalgame continue. « Le week-end dernier, raconte une urgentiste du SAMU à Marseille, un homme ayant mangé du riz cantonais nous a demandé s’il était possible qu’il soit infecté ! ».
Dans la psychose collective, un hashtag : #Jenesuispasunvirus
Sur les réseaux sociaux, la parole raciste semble se déployer encore plus ouvertement. « La bande de chinois de mais 2 (sic) j'espère que votre virus de merde va vous faire remettre votre alimentation en question a cause de soupe de chauve-souris de merde vous contaminez tout le monde », peut-on lire sur Twitter.
Derrière l’incrimination des pratiques culinaires asiatiques ou du « manque d’hygiène des Chinois », c’est « tout un faisceau d’images stéréotypées dans l’inconscient collectif qui s’exprime, explique Mai Lam Nguyen-Conan, spécialiste des questions interculturelles. Le virus exacerbe la peur d’être envahi par la Chine », observe-t-elle.
En réaction au déferlement de ces propos haineux en ligne, lundi 27 janvier, la réalisatrice afro-féministe Amandine Gay a relayé un appel lancé sous le hashtag #Jenesuispasunvirus. « La crise sanitaire du coronavirus entraîne dans son sillage une libération de la parole raciste dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ce déchaînement vise les personnes asiatiquetées ». Le message a reçu des milliers de réponses de soutien. « Je suis contente qu’il ait pu permettre la libération de la parole », confie J*, surprise de l’engouement suscité par son appel.
Ce dimanche, Le Courrier Picard faisait sa Une sur l’« Alerte jaune » et titrait son édito « le péril jaune ». Des expressions aux connotations racistes qui ont provoqué l’ire des réseaux sociaux. Le quotidien régional a présenté ses excuses peu de temps après la publication. « Ce terme évoquait directement le concept développé à la fin du XIXe siècle, visant à alerter sur le danger de voir les peuples d’Asie gouverner le monde ».
Renaud André, fondateur de l’association franco-belge « Asia 2.0 », n’a pas été étonné de revoir surgir l’expression. « Le péril jaune revient beaucoup dans les médias, mais les modérateurs sur les réseaux sociaux ne réagissent pas à nos alertes, déplore-t-il. On qualifie de virus chinois un coronavirus qui n'a pourtant aucune identité ethnique. »
Une « sinophobie latente »
Au-delà de la dénonciation des blagues racistes liées à l’épidémie, on entend le récit d’un stigmatisation banalisée. Évoquant tous les « gestes à la Bruce Lee » ou les « Ni Hao » qu’il voit et entend quotidiennement, Vincent passe presque du rire aux larmes. « J’ai 38 ans, plus 15 ans, j’ai plus envie de me prendre ce genre de réflexions… T’as envie de t’exiler à l’autre bout du monde, de raser les murs pour ne pas te faire embêter. »
Pour l'Association des jeunes chinois de France, le coronavirus n’est qu’un élément qui condense une sinophobie latente. « Les médias se réveillent parce qu’il y a de la peur. Mais c’est tous les jours que l’on reçoit des témoignages de victimes, regrette Renaud André, convaincu que le problème nécessite une réponse politique. Où sont les chiffres d’agressions ? Il faut porter plaintes, qu’il y ait des traces. Tant qu’on n’a pas ces statistiques, les politiques ne se rendent pas compte de la réalité. »
Une sensibilisation à ces questions semble cependant émerger. Ancien vice-président du Conseil représentatif asiatique de France, Valéry Vuong assure que « la nouvelle génération de Français d’origine asiatique réagit très vite, ne se laisse plus faire ». D’une certaine façon, le coronavirus pourrait même servir la cause anti-raciste selon Mai Lam Nguyen-Conan : « les associations ont intérêt à se saisir de ce genre de phénomènes pour essayer de faire passer des messages un peu différents sur les Asiatiques ».
*Les prénoms ont été modifiés
P.P. et V.C.
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