« DANS 15 JOURS, ILS SONT A LA RUE » : LE CASSE-TÊTE DE L'HEBERGEMENT DES MIGRANTS
- Le Hub
- 29 janv. 2020
- 4 min de lecture
Le démantèlement du camp de la porte d’Aubervilliers mardi dernier a conduit à l’évacuation de 1 400 personnes vers différents lieux d’hébergements en Île-de-France. Mais beaucoup risquent de retourner rapidement dans la rue, faute de dispositifs pérennes.

93 enfants se trouvaient parmi les 1400 personnes évacuées du campement. V.C.
« Nous attendons ici depuis deux heures ». Ici, à la porte d’Aubervilliers, à 5 heures du matin, Omar*, emmitouflé dans une doudoune noire pour se protéger du vent, désigne du regard une longue file d’hommes debout. Encadrés par des policiers, ils restent immobiles en attendant les bus dans lesquels ils vont devoir monter. Une opération conjointe de la préfecture de police de Paris (PP) et de la préfecture d’Île-de-France (Prif) démantèle le camp de migrants dans lequel Omar vivait depuis 3 mois. Arrivé en France en 2018 après avoir quitté le Soudan, il a obtenu l’asile politique, mais il peine à trouver un toit.
« Dans 15 jours, on retrouvera les mêmes dans la rue »
Mardi 28 janvier, plus de 1 400 personnes, selon la Prif, dont une majorité de demandeurs d’asile, ont êté évacuées d'un campement de fortune puis conduits vers des gymnases et des centres d’hébergements réquisitionnés pour l’occasion dans toute l’Île-de-France. Comme Omar, les centaines de personnes rassemblées n’avaient pas trouvé d’autres endroits où dormir que des tentes plantées en vrac dans la boue le long de la voie de sortie du boulevard périphérique. Elles sont devenues, depuis plusieurs années, le symbole d’une crise de l’accueil en France et chez ses voisins européens.
A Paris, depuis 2015, c’est la soixantième fois qu’un camp de migrants est démantelé. Didier Lallement, le préfet de police de Paris, est passé rapidement sur place le matin de l’évacuation. « Nous ne recommencerons pas un cycle infini évacuations/réinstallation », a-t-il prévenu, expliquant miser sur un « dispositif policier accru » pour éviter qu’un campement ne se reforme. Jusqu’à maintenant, cela a pourtant toujours été le cas. Face à cette stratégie, certains sont sceptiques. Si pratiquement personne ne conteste l’importance de l’orientation vers un hébergement après la sortie des campements, beaucoup déplorent le caractère éphémère de ces propositions. En regardant les hommes en rangs monter un à un dans le bus, Corinne Torre, responsable nationale de Médecins Sans Frontières (MSF), soupire : « dans 15 jours, on retrouvera les mêmes dans la rue ».
Le cercle vicieux du manque de places
Cette année, pour la première fois depuis 2015, aucune nouvelle place d’hébergement pour les demandeurs d’asile ne sera ouverte. Une décision de l’État jugée « irresponsable » par Florent Gueguen, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FNARS) joint au téléphone par Le Hub. Il rappelle « qu’un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé ». En parallèle à ce nombre de places stagnant, la quantité de demandes d’asile enregistrées par l’Office français des réfugiés et apatrides (Ofpra) a augmenté de 7 % en 2019 par rapport à l’année précédente.
M. Gueguen craint que ce manque de place entraîne une « réinstallation des campements, faute de propositions d’hébergement pérennes ». Le président de la FNARS, fédération qui regroupe 870 associations et organismes de lutte contre l’exclusion, pointe également le risque de voir « s’accroître la pression sur le Samu social et les centres d’accueil généralistes » où, là aussi, les places manquent pour accueillir toutes celles et ceux qui sont dans le besoin.
Les « dublinés », exclus des hébergements pour demandeurs d'asile
« Même si je monte dans ce bus, il n’y aura pas d’endroit pour moi », soupire Ahmed* en patientant à la porte d’Aubervilliers. Ce jeune afghan, arrivé en France après être passé par l’Allemagne et l’Autriche, est un « dubliné », une appellation qui fait référence au règlement européen dit « Dublin III » sur la demande d’asile. Ses empreintes ont déjà été enregistrées dans un autre pays de l’Union Européenne et, selon la loi, c’est justement ce pays qui doit se pencher sur son cas. Il ne peut donc pas déposer sa demande en France et n'a pas non plus accès aux hébergements pour demandeurs d’asile.

Alignés les uns derrière les autres, les habitants du camp ont parfois dû attendre de longues heures avant d'être évacués. V.C.
« Après leur passage en centres d'accueil et d'examen de la situation (CAES), les personnes dublinées ou déboutées de l’asile se retrouvent souvent à la rue parce qu’elles n’ont pas de solutions, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles des campements se reforment », explique Florent Gueguen. « Nous sommes des dizaines à avoir ce même problème », déplore Ahmed, pour qui « les règles de l’hébergement doivent changer ». Un constat partagé par 25 experts de l’immigration qui ont sorti, mardi 21 janvier, un rapport synthétisant des propositions pour une politique « plus efficace, plus juste et plus objective » de l’asile.
Très médiatisée, l’évacuation du campement de la porte d’Aubervilliers soulève cette problématique de l’hébergement. Anne Hidalgo, actuelle maire de Paris et en lice pour un second mandat, s’est déplacée le matin du démantèlement. « Même si l’hébergement des demandeurs d’asile est une compétence de l’État, les citoyens se demandent forcément ce que va faire la maire de Paris sur le sujet », confie un membre de son entourage. « A l’approche des élections municipales, l’hébergement est une question importante d’autant que le nombre de personnes recensées en situation de rue à Paris est passé à 3622 en 2019 contre 3035 l’année précédente », rappelle Florent Gueguen. Des chiffres qui pourraient encore croître, et accentuer la pression sur la mairie, suite au décompte nocturne des personnes à la rue effectué lors de la Nuit de la solidarité jeudi 30 janvier.
*Tous les prénoms ont été changés
L.S.
Comments