TROP D'ÉCRANS, TROP DE NUITS COURTES : LE SOMMEIL EST-IL UN NOUVEAU LUXE ?
- Le Hub
- 30 janv. 2020
- 4 min de lecture
Les nuits des Français sont de plus en plus courtes et sont passées, pour la première fois, en dessous de sept heures. Écrans, stress au travail, longs trajets… bien dormir est un nouveau combat.

Le besoin de sommeil dépend des personnes. / Pixabay
« Bien dormi ? ». Fréquente, la question est pourtant pleine de sens : en dormant 6h42 par nuit, les Français n’ont jamais passé aussi peu de temps dans les bras de Morphée. L'enquête du Baromètre de Santé publique France sur le sommeil publiée en mars 2019 montre que, pour la première fois, le temps de sommeil des Français est passé en dessous de la barre des sept heures minimales recommandées pour une bonne récupération.
En 50 ans, les Français ont perdu entre une heure et une heure trente de sommeil. La faute aux temps de trajet entre domicile et travail qui augmentent et à l’organisation du travail avec des horaires toujours plus décalés qui réduisent drastiquement le sommeil. « Quand vous terminez le soir à 22 heures, que vous avez une heure de trajet, vous êtes chez vous à 23h30, et l’heure du coucher sera encore plus tardive », raconte Marc Vey, directeur de l’Institut national du Sommeil et de la Vigilance. Selon lui, l’organisation même de notre société d’aujourd’hui concourt à utiliser le sommeil comme variable d’ajustement. « Beaucoup considèrent que dormir est une perte de temps. Non, l’avenir n’appartient pas à ceux qui se lèvent tôt. Non, les politiques qui affirment dormir 4 heures par nuit ne sont pas la norme, et non, il n’est pas anormal d’avoir besoin de beaucoup d’heures pour dormir », affirme-t-il au Hub.
Les nuits se raccourcissent aussi et surtout à cause du surinvestissement des adultes dans le temps passé face à leur écran. Netflix sur l’ordinateur, la télé allumée et Instagram sur le smartphone ne font pas bon ménage avec un sommeil réparateur, surtout depuis que les téléphones portables font office de réveil et qu’ils sont autorisés au lit. « Certaines personnes se couchent très tard pour jouer sur un smartphone, ce qui n’est pas utile, mais addictif. Or, cela perturbe le sommeil et ne facilite pas du tout l’endormissement », explique au Hub Bruno Comby, scientifique et auteur de L’Éloge de la sieste.
Les pouvoirs publics ne se sont pas encore emparés du sommeil
Dans les grandes villes, le bruit et la lumière sont aussi désignés responsables du manque de sommeil des urbains. L’utilisation de l’électricité a modifié progressivement les rythmes de veille et de sommeil de l’homme, lui permettant de travailler à n’importe quelle heure. Les deux-roues motorisées, les terrasses de café remplies été comme hiver et les éclairages perturbent et empêchent de créer un espace calme pour dormir.
Tous ces facteurs provoquent en moyenne une dette de sommeil de deux heures chez les salariés, selon Séverine Brune, psychologue spécialiste de l’insomnie. Or, le manque de sommeil est néfaste à notre santé. Dormir moins de 6 heures par nuit augmente le risque d’obésité, de diabète de type 2, d’hypertension, de pathologies cardiaques… Cela facilite le déclenchement de certains cancers (du sein, chez la femme, et de la prostate chez l’homme) ainsi que des maladies neurologiques comme Alzheimer.
Malgré de nombreux appels – en 2017, Le Monde publiait une tribune dans laquelle dix médecins et spécialistes du sommeil alertaient sur la dette de sommeil des Français, et la dangerosité d’une non prise de conscience -, les pouvoirs publics ne se sont pas emparés du sommeil.
Après l'amour, c'est le sommeil qu'il faut trouver
En revanche, le concept de « bien dormir » a été investi dans le privé. Sleep better, Sleep cycle, My sommeil… Les applications sur téléphone se multiplient. Après l’amour, c’est le sommeil qu’il faut trouver, en scrutant son téléphone pour connaître nos données de nuit. Les objets connectés permettant de mieux dormir font rage et sont toujours dans les top des ventes du magasin de bien-être. Pour les spécialistes du sommeil interrogés, s’il ne faut pas leur faire entièrement confiance, ils ont le mérite d’attirer notre attention sur le fait qu’on ne dort pas assez. Un premier pas ?
Outre les applis, des starts-up de sieste se sont aussi créées, souhaitant, elles, démocratiser la pratique en entreprise. Camille Desclée a cofondé Nap&Up en 2017 après s'être rendu compte qu’il n’existait pas d’espace de détente dans de nombreuses entreprises. Durant les trois ans d’existence de son entreprise, elle a perçu une nouvelle prise de conscience. « Aujourd’hui, il y a des grands groupes qui viennent nous voir alors qu’il nous avait fermé la porte il y a trois ans, explique-t-elle, la structure du bien-être au travail a évolué ». Pour Nap&Up, la micro-sieste peut être un pansement à la dette de sommeil des salariés. Un avis partagé par le spécialiste en la matière Bruno Comby. « On s’est éloigné de cette bonne habitude de la sieste que l'on avait dans le temps. Il faut la réinvestir, réaliser qu'elle peut être bénéfique et peut nous soigner des maux de la fatigue », affirme-t-il.
Se coucher plus tôt, couper les écrans, faire une sieste durant la journée de travail… « Dormir est devenu un luxe aujourd’hui. C’est sûr que si vous êtes assez riches ou libres pour pouvoir organiser votre rythme de vie tranquillement, si vous n’êtes pas contraints à des horaires coupés, décalés et que vous pouvez déterminer vos propres horaires de travail, c’est non négligeable ». affirme Marc Vey. Un luxe accessible ? Séverine Brune le considère. « Il faut être à l’écoute de soi, à l’écoute de son sommeil, pouvoir se détendre le soir, ne pas être à 100 à l’heure jusqu’au coucher, et ça, c’est un luxe ».

E.S.
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