POLANSKI NOMINÉ AUX CESAR: L'IMPOSSIBLE SEPARATION DE L'HOMME ET DE L'ARTISTE ?

Roman Polanski recevra-t-il le César du Meilleur réalisateur en 2020 ? L'hypothèse fait déjà grincer des dents. Son film J'Accuse a reçu de nombreuses nominations aux César ce mercredi, malgré les nombreuses accusations judiciaires dont il est l'objet.

Roman Polanski à Deauville, en septembre 2019. Loïc Venance / AFP

L’Académie des César ne craint pas la polémique. Mercredi, jour des sorties cinéma, elle a révélé sa liste de films au palmarès des César 2020, dont la 45e édition aura lieu le 28 février. Roman Polanski est déjà le vainqueur de cette sélection, avec pas moins de douze nominations, dont celle du Meilleur réalisateur et du Meilleur film.

Mais le cinéaste a aussi un autre palmarès : Roman Polanski a accumulé les plaintes pour agressions sexuelles. Le réalisateur est poursuivi pour viol depuis 1977 par la justice aux Etats-Unis, où il n’a plus mis les pieds depuis 1978, accusé d'avoir agressé sexuellement une adolescente âgée de 13 ans .

L’annonce des douze nominations de J’Accuse a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et au sein de plusieurs organisations féministes. L’humoriste Florence Foresti a même laissé échapper un - faux ? - lapsus significatif : dévoilant les nommés, la maîtresse de cérémonie des César a déclaré : « Roman Polanski pour Je suis accus… », avant de corriger le titre du film du réalisateur. Mais l’annonce est loin de faire rire tout le monde.

« Un criminel acclamé par le cinéma français »

Au micro de Franceinfo, Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme, déplore que le réalisateur franco-polonais soit « encore et toujours acclamé par le cinéma français. » Selon elle, la comparaison entre le milieu du cinéma français et l’industrie des Etats-Unis révèle l’omerta qui s’est installée au pays de naissance du cinéma : « Alors qu'aux États-Unis, deux ans après #MeToo, le procès [Harvey] Weinstein qui s'ouvre, et Weinstein risque la prison à perpétuité, nous, nous avons une industrie du cinéma qui se rend complice et qui continue à acclamer un violeur pédocriminel en fuite. »

Déjà en novembre dernier, au moment de la sortie de J’Accuse, consacré à l’affaire Dreyfus, des voix s’étaient élevées pour appeler au boycott du film, réveillant cet éternel débat : faut-il séparer l’oeuvre de l’artiste ? L’Académie des César s’est d’ores et déjà positionnée. Le président de l’Académie Alain Terzian justifie ce choix : les César ne sont « pas une instance qui doit avoir des positions morales, a-t-il déclaré sur RTL, catégorique. Sauf erreur de ma part, 1,5 million de Français sont allés voir son film. Interrogez-les. »

Premier film français à traiter de l’affaire Dreyfus

Pour Valérie Rey-Robert, autrice d’Une culture du viol à la française (Libertalia, 2019), le cas Polanski est révélateur d’une certaine vision de l’artiste inhérente au cinéma français. « L’artiste a un statut d’intouchable. Notre histoire du cinéma s’attarde beaucoup sur les personnalités des artistes. Comment alors affirmer qu’il faille séparer l’oeuvre de l’artiste alors même que Polanski ne le fait pas dans ses oeuvres ? », interroge Valérie Rey-Robert. « Dans J’Accuse, Polanski mélange les deux en se comparant à un dreyfusard. C’est ajouter de l’ignominie à l’ignominie ! », abonde l’autrice. Et d’ajouter: « Dreyfus a été reconnu coupable parce qu’il était juif ; Polanski, lui, est coupable d’avoir violé ».

Mais Valéry Rey-Robert ne conteste pas l’importance de cette oeuvre, et plus précisément de son sujet. Hormis un film de Georges Méliès datant de 1899, J’Accuse est le premier film français à traiter de l’affaire Dreyfus même si elle regrette que Polanski l’ait « instrumentalisé pour sa propre défense ». Toutefois, l’autrice reconnaît la délicate position de l’Académie des César. « Elle aurait pu faire un autre choix politique plus intéressant : nominer l’oeuvre mais en ne récompensant pas l’artiste, c’est-à-dire ne lui attribuant pas une nomination pour le meilleur scénario ni pour le meilleur réalisateur ».

P.P. et L.S.