[ABONNÉ] PROCÈS MOURAD FARÈS : UN REPENTI, DEUX DJIHADISTES DISPARUS
- Le Hub
- 22 janv. 2020
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La Cour d'assises spéciale de Paris s'est penchée mardi sur les profils des trois autres accusés, djihadistes ou ex-djihadistes, qui ont connu de près ou de loin l'accusé principal, Mourad Farès, présumé recruteur de l'État islamique. Des hommes aux personnalités différentes, qui ont essayé - et pour certains réussi - à rejoindre la Syrie.

Le verdict du procès Mourad Farès est attendu vendredi 24 janvier. Thomas SAMSON / AFP
Trois hommes, trois histoires qui se sont croisées, avant de se séparer définitivement. Un s’est repenti et vit une vie presque normale avec sa compagne en France. Le deuxième se trouve probablement en Syrie, sa famille étant sans nouvelles de lui depuis quelques années. Le dernier est mort au combat dans la ville syrienne de Homs en 2014. Ala Eddine Benali, Hachmi Hattabi et Bilel Ben Mimoun sont jugés aux côtés de Mourad Farès, présumé recruteur de djihadistes. Ce dernier est resté silencieux aujourd’hui, la tête tantôt baissée, tantôt entre ses mains.
Sur les bancs réservés à la défense, Ala Eddine Benali est assis aux côtés de son avocate. Cheveux courts et bien coiffés, chemise blanche rentrée dans son pantalon noir, il est calme et attentif. Il se ferait presque oublier. Le jeune homme de 25 ans comparaît libre sous contrôle judiciaire. La raison de sa présence : il est accusé d’avoir tenté de rejoindre la Syrie.
À la barre des témoins, sa mère retrace son parcours chaotique. Né en Algérie en 1994, Ala Eddine arrive en France après le divorce de ses parents en 2000, alors qu’il n’a que six ans. Le garçon passe alors de ville en ville, sa mère le confiant à plusieurs de ses frères, vivant à Amiens ou à Saint-Denis. En 2009, la famille déménage à Roubaix. Ala Eddine, sa petite sœur Manel, sa mère et son nouveau beau-père se serrent à quatre dans un petit studio.
« Et c’est là que le cauchemar a commencé », raconte sa mère. Son nouveau mari boit, la bat, tout cela devant ses deux enfants. « Aujourd’hui, je m’en veux vraiment, je culpabilise beaucoup car je n’ai pas su protéger mes enfants », s’émeut-elle. Sa voix se brise.
« J’avais trouvé des réponses à mes questions »
Ala Eddine est envoyé chez son oncle à Saint-Denis et commence à décrocher à l’école. Pourtant, s’appuyant sur un rapport d’une experte-psychologue, la présidente résume : « C’est un jeune homme avec un haut potentiel intellectuel, très supérieur à la moyenne, mais qui a beaucoup souffert durant son adolescence ». Ala Eddine rencontre alors Selim, un ami avec lequel il se rend à Paris pour assister à une réunion sur le djihad et la hijra (le départ dans un pays musulman). Cette discussion est organisée par Mourad Farès. À mesure qu’il se renseigne sur ces sujets, Ala Eddine est convaincu. « J’avais trouvé des réponses à mes questions, la vérité. Je ne me disais pas que je me trompais », explique-t-il dans une déposition antérieure. « Tuer, ça me dérangeait depuis toujours. Mais l’idée d’aider les opprimés, ça a touché ma corde sensible ».
Le départ pour la Syrie est fixé le 5 juillet 2013. Ala Eddine rejoint Mourad Farès, Hachmi Hattabi et Bilel Ben Mimoun à Grenoble, d’où ils partiront à deux voitures vers la Turquie, pour ensuite se rendre en Syrie. Mais à la frontière, alors que les trois autres réussissent à passer, Ala Eddine est bloqué, car son passeport expire trois mois plus tard.
Avec l’aide de Mourad Farès, qui lui prête son téléphone, il tente de traverser la frontière clandestinement mais il est intercepté par des gardes turcs, puis placé en détention. Quelques semaines plus tard, il dit s’être repenti : « Je n’étais plus d’accord avec eux, j’ai fait une bêtise. »
« Tuer, ça me dérangeait depuis toujours. Mais l’idée d’aider les opprimés, ça a touché ma corde sensible ».
Des études brillantes au djihad
Autour des quatre accusés, un nom revient souvent : celui d’Omar Diaby, dit Omar Omsen. Ce Français d’origine sénégalaise était très actif dans la région de Nice, avant de se rendre en Syrie en 2013. Considéré comme un recruteur et un prêcheur extrêmement influent, notamment sur les plus jeunes, Omar Diaby réalise des vidéos de propagande très populaires diffusées sur YouTube. Mourad Farès, lui, est l’homme derrière les voix off de ces clips.
Les deux autres accusés, Hachmi Hattabi et Bilel Ben Mimoun, sont les grands absents du procès. À la barre, la sœur de Hachmi Hattabi, raconte : « On ne pensait pas du tout qu’il partirait combattre en Syrie. Il n’était pas influençable, même s’il est fragile, très émotionnel. »
L’ex-étudiant en médecine à Lyon avait presque terminé ses études et s’apprêtait à soutenir sa thèse, mais il ne s’est jamais présenté devant le jury. « En 2012, il avait été convoqué par le conseil de l’Ordre des médecins à la suite d’une plainte d’une patiente pour incivisme », se souvient sa sœur, « et il m’avait aussi avoué son homosexualité. » Un écho à Mourad Farès, qui a parlé de son homosexualité lors d’un interrogatoire en détention. Aujourd’hui, Hachmi est « ou mort ou emprisonné, je ne vois pas d’autre possibilité », conclut sa sœur.
Des hommes peu religieux avant de partir
Quant à Bilel Ben Mimoun, il est présumé mort, mais sans preuve officielle de son décès, la justice française doit quand même le juger, par défaut. Né en 1990, il meurt au combat à Homs en février 2014. Sa sœur reçoit un appel de Mourad Farès, qui lui annonce son décès. « C’était la première fois que j’appelais un proche d’un combattant pour lui annoncer une mort, explique Mourad Farès, la voix hésitante. J’ai été très choqué ».
Le point commun entre les trois accusés qui gravitent autour de Mourad Farès : « ils étaient tous peu religieux, avant de se radicaliser », explique un enquêteur de la DGSI qui témoigne de manière anonymisée en visioconférence. Ala Eddine Benali vient d’une famille musulmane non pratiquante. Sa mère explique : « Mon fils et moi, on va au cinéma, on écoute de la musique ensemble, on est ouverts. Franchement, quand j’ai appris qu’il avait été arrêté en Turquie, j’étais extrêmement choquée ». Derrière le départ de ces convaincus du djihad restent donc les familles, désemparées, dans l’attente de nouvelles qui semblent ne jamais arriver et sans comprendre où cette radicalisation a commencé.
M.M.
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